Vous êtes le problème
Pour la pleine compréhension de cet article, il est préférable de voir, à minima, les 10 dernières minutes de la vidéo « ALAD’2 : CRITIQUE ». Si vous avez le temps, regardez la vidéo en entier.
Si vraiment vous ne pouvez pas, ça se lit quand même...
Podcast audio disponible sur soundcloud.
Ça fait quelques temps que j’ai envie de parler d’Internet ici. Parce qu’il y a plein de trucs à dire, et que pas grand monde le dit. Alors j’ai lu pas mal de trucs, regardé pas mal de trucs. Mais je ne savais pas trop par quel côté le prendre. La superpuissance des GAFA ? L’importance de l’Internet libre ? L’état de la création sur internet ? Ou autre chose ? C’est compliqué de faire un choix.
Mais entre octobre et décembre 2018, Victor Bonnefoy a sorti trois vidéos assez importantes, qui resonnent bien avec ce que je veux dire. Alors je me suis dit que c’était un bon point de départ. Victor, pour ceux qui ne connaissent pas, il est un peu connu sur le Youtube français en tant que critique de cinéma, sous le nom Inthepanda. Et il a mis un gros coup de pied dans la fourmilière, ça m’a fait un bien fou. Commençons par expliquer rapidement le contenu de ces vidéos.
La Trilogie finale
3 octobre, Victor sort sa première vidéo : ALAD’2 : CRITIQUE. Je ne m’attends à rien d’incroyable, mais je me demande ce qu’il a à dire sur ce film que je méprise déjà beaucoup. Pourquoi est-ce que je le méprise ? Plusieurs raisons :
- Son titre extravagant, qui semble assez bien exposé le niveau des jeux de mots du film ;
- Mon avis sur le premier volet, avis principalement conçu à partir de la critique de Victor, quelques années plus tôt ;
- Mon avis général sur Disney, que ça soit en films original ou en adaptation ;
- Mon avis général sur les comédies françaises actuelles.
La vidéo démarre sur cet étrange écran titre.
La trilogie finale ? C’est quoi ? Et puis la vidéo commence et je n’y prête plus attention.
Alors, la première partie, pour mon propos, on s’en fout un peu : Il montre qu’il se pose des questions sur son statut de créateur, de ce qu’il veut/doit faire… ça introduit le bordel, mais ce n’est pas le cœur du sujet. Ensuite, il passe à la critique. C’est pas super intéressant, c’est un film de merde, un peu comme je m’y attendais. Puis, quelque chose d’intéressant se produit. Il commence à revenir sur ce qu’il a dit sur Les nouvelles aventures d’Aladin.
« Y’a maintenant trois ans, j’ai sorti une vidéo mal filmée, […] réalisée sous le coup de la colère juste après avoir vu le film Les nouvelles aventures d’Aladin. Cette vidéo, c’est de la merde ».
Waoow, ça donne le ton.
Alors, des vidéastes qui expliquent que leurs anciennes vidéos sont pourris, il y en a plein. C’est même devenu une mode de regarder les vieilles vidéos de sa chaine pour faire une vidéo récente et ramener plein de nouvelles vues sans la moindre difficulté (D’ailleurs la super série Preview en parle, allez voir, c’est super cool). Mais jusqu’à maintenant, je n’en avais jamais vu le faire sérieusement, argumenter pour démonter sa propre vidéo et finir par
« C’est vous le problème. »
Aaaah merci. Après 21 minutes de visionnage relativement passif (quoi qu’un peu impressionné par les 3 dernières minutes), là, j’ai eu un petit frisson. C’est vous le problème, retenez ça, on y reviendra.
Après 3 minutes de C’est toi le problème, il passe à C’est moi le problème. Et il enchaine sur 3 minutes d’auto lynchage et de confession, c’est assez flippant/inquiétant/impressionnant. Et puis il finit par dire que c’est fini, parce que ça le détruit. La trilogie finale sera la fin des critiques Inthepanda.
Bon.
Booooonbonbonbon...
Je vais passer rapidement sur les deux vidéos suivantes : elles ont leur importance, mais l’essence du message se trouve dans la première.
9 novembre : Disney et les 2000. Une vidéo passionnante… qui m’a fait aimer Disney. Wow, ce n’est pas rien. Pour le coup, le message important -pour mon propos- n’est pas dans cette vidéo, mais plutôt par cette vidéo. Un mois après un message ras-le-bol, Victor nous sort un truc complètement barré, juste parce qu’il a envie. Et ça marche. Avec plus de 400 000 vues - Pour une vidéo de plus d’une heure ! -, elle devient une des vidéos les plus populaires de sa chaine. Il dira lui-même un peu plus tard
« Quand j’ai expliqué le concept au gens autour de moi, on m’a regardé comme un fou »
Mais ça a marché, le public a été là. Donc cette vidéo, au-delà d’un excellent documentaire, c’est un bel espoir pour l’avenir de la création sur Internet. Et même pour l’Internet dans son ensemble. Un créateur est sorti de son format, et le public a suivi. Ça arrive mais c’est pas souvent. (La super série Preview en parle, allez voir, c’est vraiment bien !)
9 décembre : TARANTINO : SURCOTÉ ? Une vidéo…. Un peu moins bien. Mais ce n’est pas grave, parce que le message de fond de tout ça c’est
« N’écoutez pas les autres »
« Créer sans restriction »
La trilogie finale est terminée, et c’est juste ce qu’il fallait. Victor a terminé sa thérapie, et nous on en a pris plein la gueule.
Mais revenons un peu, sur tout ce qu’on a pris dans la gueule.
Ce qu’on a pris dans la gueule
C’est toi le problème
Quatre mots.
Et demi, bon.
Pour moi, les quatre mots les importants de ces 3h30 de vidéos. C’est l’utilisateur le problème. C’est le spectateur le problème.
Parce que, si les vidéastes ont peur de se renouveler, c’est à cause des spectateurs. Parce qu’il n’y a probablement jamais eu autant de haine gratuite distribuée que depuis qu’on peut donner son avis anonymement. Et surtout, c’est l’utilisateur le problème car il ne s’intéresse pas au problème, il ne sait que se plaindre. Si on s’intéresse un peu à Youtube, on ne le sait que trop bien : la plupart des Youtubers ont des gros problèmes de confiance, ils se remettent tous en question en permanence. Le problème ne peut pas venir d’eux, ce n’est pas possible.
« Le terme influenceur, il a pas été créé pour rien »
Ça, c’est hyper important, c’est une des maladies qui ronge la société d’aujourd’hui. En février 2018, Kylie Jenner, une conasse sans talent connue probablement pour rien d’autre que son cul -Et peut-être celui de sa demi sœur, Kim Kardashian- a fait chuter l’action de Snapchat de 6%... en twittant. Alors, vous n’en avez probablement rien à foutre de Kylie Jenner, ou même de Snapchat, mais c’est simplement pour illustrer l’importance que ces personnes ont sur la société. Une unique personne a réussi à mettre dans l'embarras une entreprise cotée à 15 milliards de dollars en moins de 140 caractères, c’est hallucinant.
La partie sur Kylie Jenner, c’est pas de la haine gratuite, elle représente la maladie dont j’essaye de parler. Et c’est pas anonyme, je me présente plusieurs fois sur ce blog 😉
« Tu bougerais juste les lèvres pour qu’on y foute ma voix, personne se rendrai compte que t’es en train de te mentir à toi-même »
Le problème des influenceurs, ce n’est pas leurs impacts sur les entreprises -si Snapchat disparait, un autre service le remplacera- mais sur nous, utilisateurs. Moi-même, comme je le disais en début d’article, la plus grosse partie de mon avis sur le film « Les nouvelles aventures d’Aladin » était grandement fondée sur la critique de Victor. Bon, il y avait aussi une bonne partie de Je n’en ai surtout rien à foutre de ce film… Ces gens-là, qui ont une audience de malade et qui sont largement approuvé (Dirtybiologie ne parle dans cette super vidéo) par le public, donnent leur avis qui sont reçu comme des vérités absolues. Et attention, je dis bien reçu et non données. Encore une fois, je pense sincèrement que les vidéastes ne sont pas le problème.
« T’es l’problème parce qu’en m’entendant dire ça, tu t’dis que t’es pas le problème et que t’es au-dessus de ça. »
Alors bien sûr, parmi vous tous, il y en a surement plein qui ont un esprit critique aiguisé et qui se font systématiquement un avis propre sur tout ce qu’ils voient ou entendent (j’avoue, j’en doute un peu, on a tous nos failles), mais il y en a beaucoup qui ne le font pas, soit sans s’en rendre compte -ce qui est dommage-, soit que ça ne dérange pas -et ça c’est grave-. C'est hyper grave parce que ne pas se faire d'avis, c'est laisser la porte de son cerveau ouverte à toute les publicitées, toutes les idéologies et, n'ayons pas peur des mots, toute la propagande. Ne pas avoir d'esprit critique, c'est la voie pour perdre ses libertées, une par une, sans même s'en rendre compte.
« Le problème du téléchargement, c’est celui des connards qui pillent des petits films […] Forcément, […] t’attends pas à en voir venir dans les salles. »
C’est l’utilisateur le problème, parce qu’il ne veut pas faire d’effort. Et ce qu’il y a de fou avec ça, c’est que ça fonctionne avec tout ! Trop de fois j’ai entendu
« Je sais que la cybersécurité c’est important, mais là j’ai la flemme »
« Je sais que la vie privée c’est important, mais quitter Facebook, c’est compliqué, et Google ce n’est carrément pas possible. »
« Je sais que l’écologie c’est important, qu’on joue notre avenir, mais juste cette fois, je me fais plaisir. »
En bref :
« Je sais, je veux bien faire des efforts, mais je ne veux pas que ça devienne une contrainte dans ma vie. »
Mais, en fait, si. Bien sûr que ça doit devenir une contrainte, sinon ça ne peut pas marcher. Pour la sécurité informatique, je ne dis pas d’avoir un mot de passe de 30 caractères, mais un truc un peu réfléchi, c’est un minimum. Quitter Facebook, ce n’est pas si compliqué, et quitter Google, c’est possible. Et pour ce qui est de l’écologie, heureusement on commence à se bouger le cul, mais c’est globalement le même problème : si on veut améliorer les choses, il faut faire des efforts, et les efforts, forcément, c’est des contraintes.
L’information et la désinformation
Pour revenir à Internet, une des raisons pour laquelle c’est la merde et que personne ne s’en rend compte c’est justement parce que personne ne s’en rend compte, c’est un énorme cercle vicieux. Et personne ne s’en rend compte, parce qu’encore une fois, personne ne s’y intéresse.
Il y a une semaine, j’ai engueulé une amie parce qu’elle ne voulait pas s’intéresser à un article que je lui envoyais. Dans son argumentation, quelque chose m’a particulièrement choqué :
« Ça donne pas envie, il y a beaucoup de texte. Une vidéo ça serait plus simple. »
Vraiment ? On en est à ce niveau-là de l’information ? Ce qui m’a le plus effrayé, c’est que ça reflète très probablement l’avis d’une bonne partie des utilisateurs. Mais ça veut dire que s’il n’y avait pas cet énorme mouvement écolo sur Youtube, personne n’en n’aurait rien à foutre de la planète ? Ça veut dire que les marches pour le climat auraient probablement été désertes ? Vraiment ?
Eh bah oui. Aujourd’hui, on s’intéresse au climat parce que c’est tendance. Par contre, le fait que la commission européenne est en train réduire notre liberté d’expression en miette, et de confier la censure automatisée à Google et Facebook, ça, tout le monde s’en fout.
« Tout se joue sur la com’ » me dit-elle un peu plus loin. Elle a un peu raison. Mais pas tout à fait. Tout se joue sur l’implication des gens. Et si les gens ne s’impliquent pas, ils ne s’informent pas. Et s’ils ne s’informent pas, on va doucement glisser vers un scénario « 1984 ».
Finalement…
Le problème de ce genre de discours alarmistes, c’est qu’on passe pour un gros parano qui en fait des caisses pour qu’on l’écoute. Sauf qu’il y a quelques années, on disait pareil des écolos agités, et aujourd’hui on comprend notre erreur. Ce n’est pas encore trop tard pour se réveiller. A l’origine de sa création, Internet c’était un réseau par les internautes pour les internautes. Aujourd’hui il appartient aux plus grands, les GAFA, mais il n’est pas trop tard pour reprendre le contrôle. A l’origine de sa création, le métier de Youtuber promettait aux vidéastes une création sans limite et sans restriction. Il n’est pas trop tard pour redonner cette liberté aux créateurs.
Il n’est pas trop tard pour supprimer ce problème. Il faut juste ne pas avoir la flemme.
Certains me feront peut-être remarqué que je bouge les lèvres pour mettre les mots de Victor par-dessus. C'est vrai, et au début, ça m'a dérangé. Et puis j'ai constaté que le fond de ce que je dis, je le pensais avant. Quelque chose que j'aime bien avec sa chaine, c'est qu'il arrive parfois à mettre des mots sur ce que je ressens devant certains films. Et puis d'autre fois il tombe complètement à côté de la plaque par rapport à ce que je pense.
Parfois oui, parfois non. Et là, c'était un gros oui. J'utilise simplement ses punchlines pour appuyer mon propos.
Dans cet article, j’ai sûrement l’air de taper sur la gueule d’un peu tout le monde… C’est surement parce que c’est mon intention. Tout ce que je dis là-dedans, je le pense sincèrement, et je le constate dans mon cercle social le plus proche, chez mes amis, ma famille… Si je suis quelque peu agressif ou provocateur par moment, c’est parce que c’est parfois nécessaire pour faire passer un message. D’ailleurs Victor fait pareil dans sa vidéo. Et je pense que ça fonctionne bien. Vous allez peut-être penser qu’on est des gros cons, mais le message restera plus probablement ancré dans vos pensées que si je l’avais servi avec un cookie. Alors au lieu de penser qu’on est des gros cons, venez plutôt en parler