Attention, Manipulation ! #8 Le cadrage
Découvrez l'effet de cadrage, et l'impact qu'il peut avoir sur votre capacité à raisonner !
Bonjour à toutes et à tous !
On se retrouve pour un nouvel épisode d'Attention, Manipulation !
Comme d'habitude dans cette série d'article, nous allons nous intéresser à un biais cognitif.
Je rappelle brièvement ce qu'est un biais cognitif (d'après Wikipédia) :
C'est donc une sorte d'erreur de jugement systématique dans des conditions données.
Nous allons voir ensemble aujourd'hui l'effet de cadrage.
Qu'est-ce que c'est ?
Non, ce n'est pas l'effet que vous apportez à une photo lorsque vous rajouter un joli cadre autour. Mais je pense que c'est une très bonne métaphore pour illustrer le concept.
C'est en 1981 que deux psychologues israéliens (Tversky et Kahneman) proposent une expérience très intéressante pour démontrer que nos choix face à un problème sont liés à la façon dont le problème est posé.
L'expérience
Les psychologues sélectionnent deux groupes d'étudiants et leur soumettent ce type de problème :
Un immeuble est en feu. Il y a 60 personnes qui sont bloquées à l'intérieur. Que faites-vous ?
Puis, chacun des groupes a le choix de répondre parmi 2 réponses qui sont différentes entre les deux groupes.
Groupe A | Groupe B |
---|---|
Sauver 20 personnes avec une probabilité de 1 | Perdre 40 personnes avec une probabilité de 1 |
Sauver 60 personnes avec une probabilité de 1/3 | Perdre 60 personnes avec une probabilité de 2/3 |
Et vous, quelle solution vous paraît la plus censée ?
Résultats
Groupe A | Groupe B |
---|---|
72% | 22% |
28% | 78% |
Les résultats de cette expérience indique que dans le groupe A, un peu plus de 70% des personnes ont choisi la première solution (sauver 20 personnes à coup sur). Contre seulement 22% chez le groupe B.
Pourtant, les choix avec une probabilité de 1 possèdent exactement les même caractéristiques : on sauvera 20 personnes et 40 personnes seront perdues avec une probabilité de 100%
De même, les choix "plus risqués", possède en fait la même espérance mathématique que les premiers choix !
Et oui, car une chance sur 3 de sauver 60 personnes, équivaut à 1 chance sur 1 de sauver 20 personnes.
Observations
Donc, nous avons proposé 4 fois la même solution, formulée de façon différente à chaque fois, mais les personnes n'ont pas choisi la même solution. Mieux que ça, on s'aperçoit que lorsqu'il est question de "sauver" des vies, les gens préfèrent ne pas prendre de risque et choisissent la solution avec 100% de probabilités. À l'inverse, lorsqu'il est question de "perdre" des vies, les gens sont plus enclins à prendre des risques.
On s'aperçoit donc que tout est une question de cadrage lorsque nous sommes face à un problème. Selon la façon dont il sera formulé, on pourra donc attirer des gens vers un choix ou un autre.
Par exemple
Groupe A | Groupe B |
---|---|
Ne pas autoriser la condamnation publique de la démocratie | Interdire la condamnation publique de la démocratie |
Autoriser la condamnation publique de la démocratie | Ne pas interdire la condamnation publique de la démocratie |
Cet exemple sorti d'une étude sur cet effet de cadrage montrait que le groupe A répondait en majorité (environ 65%) "Ne pas autoriser", tandis que le groupe B répondait en minorité (45%) "Interdire la condamnation". Pourtant c'est exactement les mêmes choix !
Mais la façon dont ils sont formulés change tout !
Conclusion
La solution à ce problème ? Ne jamais foncer tête baissée lorsqu'on vous propose un choix !
En effet, l'effet de cadrage va perturber votre raisonnement, et vous faire réaliser des erreurs. Tout ça à cause d'une information volontairement (ou pas) mal énoncée.
Cet effet est aussi largement utilisé dans les médias politiques, qui veulent généralement faire en sorte que l'avis du public se conforme à leurs attentes.
Cela prouve que nos décisions ne nous appartiennent pas toujours. Et qu'il faut également toujours se renseigner avant de faire un choix. On ne voudrait pas se retrouver avec des politiques dont on ne veut pas réellement, n'est-ce pas ?
Il existe des façons de vérifier qu'un choix dans une situation donnée est clair, ou si il manque des éléments pour conclure. J'approfondirai un peu plus le sujet de la formulation claire d'un énoncé dans un prochain article.
En attendant, j'espère que vous aurez un peu plus conscience du résultat de vos choix. Restez rationnels et n'hésitez jamais à remettre en question les choix qu'on vous propose.
Pour aller plus loin :
Le cadrage, Wikipédia
Effet de cadrage, Toupie.org
Vos décisions sont-elles impartiales ?, HomoFabulus.com, 16 Février 2013
Ce problème de logique simple montre à quel point nous sommes illogiques, Slate.fr, 24 Mai 2015
Vraiment excellent, surtout le fait que sa soit les 4 mêmes choix avec le calcul sauf que sans être mathématique on peux sauver tout le monde si on a de la chance juste plus risqué ( je me suis fait avoir sur ce fait ^^) .
En tout cas bravo ;) mtn faut juste que l'on nous laisse le temps d'aller sauver les gens dans l'immeuble ^^
PS:
j'appel les pompiers ;)
On pourrait effectivement tenter sa chance et essayer de sauver le plus de gens possible avec le deuxième choix (sans oublier qu'on peut aussi perdre tout le monde). Si tu répétais ce choix une infinité de fois par contre, tu arriverais au même résultat, c'est à dire en moyenne 20 personnes sauvées !
PS: Choix judicieux ;)
Très intéressant comme effet, même si pour le coup j'ai du mal à bien comprendre le raisonnement du premier exemple. Car pour moi, "sauver 60 personnes" avec une probabilité d'1/3 est totalement différent de "sauver 20 personnes" avec une probabilité d'1.
Si les deux sont égaux comme tu le dis dans le post, ça voudrait dire que si "sauver 60 personnes" venait à échouer, 20 personnes seraient forcément sauvées. Ce qui ne semble pas correct si la probabilité fait référence au groupe. Car si elle fait référence au groupe, les 2/3 restants seraient des résultats allant de 1 à 60 personnes perdues.
À moins que la probabilité soit pour chaque individu du groupe de personnes et non pour le groupe, dans ce cas il y a peut-être un problème d'énoncé ?
Exact ! Sauf que l'espérance mathématique sera la même. Donc on peut dire qu'en moyenne, on sauvera 1/3 des personnes. ;)
En moyenne peut-être mais pas dans tous les cas, donc ça ne revient pas vraiment à la même chose ^^
Mais bon, je fais mon chieur là lol
En fait je comptais expliquer dans l'article pourquoi chaque choix vaut la même chose mais ça dérivait trop vers les maths :p Mais oui en gros tu as raison, lorsque tu choisis la deuxième solution, tu "tente ta chance" de sauver d'un coup 60 personnes. C'est comme le loto. Tu as une chance de gagner, mais en moyenne, tu sera toujours perdant ;) À moins de jouer 1 906 884 de fois dans la même partie pour être sûr de gagner :p
Le problème surtout, c'est qu'on se rend compte qu'en formulant "positivement" ou "négativement" un énoncé, on peut diriger le choix des personnes, alors qu'on leur propose le même choix.
On se retrouvera avec le Groupe A qui va penser que c'est mieux de choisir la première solution, tandis que le groupe B qui va penser que la deuxième solution est peut être plus adaptée. Alors que c'est le même problème et les mêmes solutions ! Mais la façon dont on les formule va cadrer la façon dont on raisonne sur ce problème.
Par exemple pour le deuxième exemple, lorsqu'il s'agit d'autoriser ou non la condamnation de la démocratie en public (donc le groupe A), on présuppose automatiquement qu'elle n'est actuellement pas autorisée. Donc il y aura une réaction de peur face à l'inconnu, au risque qui nous poussera à ne pas l'autoriser.
Au contraire dans le groupe B ("interdire ou non"), on présuppose que c'est déjà un droit de condamner la démocratie publiquement. Donc, on ne veut pas perdre quelque chose que l'on possède déjà ce qui va nous conduire donc à choisir de ne pas l'interdire.
Pourtant le problème est exactement le même. Les solutions sont exactement les mêmes. Juste formulés différemment ^^
Toujours un plaisir de retrouver tes articles !
C'est vraiment dingue comme la langue et la façon d'énoncer ont une influence tellement grande sur notre capacité à faire un choix.
De mon côté, j'aurais dans les deux cas pris les 100% mais j'imagine que c'est mon aversion au risque qui veut cela...
Et oui ! Certaines cultures pensent même que la magie noire est en fait la "magie" des mots !
Pas faux quand on y pense !
J’ai adoré ton article. C’est vrai qu’il faut parfois remettre en questions les choses avant de décider dans la précipitation.
Merci pour ta réaction ! Malheureusement, on ne prend plus le temps de choisir. Mais surtout de réfléchir à pourquoi nous faisons ce choix et pas un autre ? Qu'est-ce qui nous pousse rationnellement (et non pas émotionnellement) vers ce choix ?
Dans l'exemple de la "condamnation de la démocratie en public", on s'aperçoit qu'un groupe politique peut facilement faire pencher la balance d'un coté ou d'un autre, simplement en formulant son énoncé différemment. Alors que le choix logique serait de se questionner sur le réel problème. La question n'est pas "doit on autoriser la condamnation de la démocratie", mais "ne pas critiquer la démocratie nuit-il à nos libertés ?"
Un super article ! Franchement intéressant! Humainement et mathématiquement.
Merci @darkiche !
Pour moi, je choisirais de sauver 60 personnes avec une probabilité de 1/3 :( ,Merci pour cet article, pour la première fois j'ai lu sur cette théorie
Comme quoi le choix des mots et la manière dont on s'exprime peut avoir un effet et induire une influence toute particulière envers son auditoire. Upvoté à 100% !
Eh oui ! Très important la formulation ! Merci du soutien ;)
Ma première réaction serait de me dire que je me sauve moi d'abord lol ! Bon après j'appelle les pompiers mais comme je ne suis pas une super héroïne, je ne tenterai pas d'aller sauver qui que ce soit 😋
C'est déjà une bonne piste ! Sortir du cadre pour réfléchir réellement au problème !
C'est dingue cet effet ! Merci beaucoup superbe article !
Héhé merci !
Super article ! Cela me fait beaucoup penser aux travaux sur l'économie comportementale, qui se sont largement vulgarisé il y a quelques mois suite au prix Nobel d'économie de M. Thaler ; on retrouve les mêmes ficelles pour ce qui est des raisonnements, et on se rend compte que notre côté rationnel peut être largement battu en brèche, souvent à notre insu... Merci !
Eh oui, nos esprits sont loin d'être une boîte inviolable malheureusement. C'est pour ça qu'il faut toujours rester critique, même envers soi-même.
Se questionner sur le cadre de ses choix est important puisqu'il permet d'appliquer un raisonnement rationnel.
J'approfondirai un peu plus sur comment bien formuler un problème dans un prochain article ! Merci pour ton commentaire !
En effet ! Pour le cadre, j'étais frappé par les expériences de Stanford ou de Milgram, que tu dois surement connaitre... Enfin bref, on ne va pas refaire le monde !! J'ai hâte de lire tes prochains articles, à bientôt !