Economie Marocain
2Trois décennies après son indépendance, le Maroc est à la recherche d’une nouvelle politique industrielle. Les réformes en cours témoignent des contraintes qui pèsent sur l’industrialisation de l’économie nationale. Dès le début des années soixante, la gestion du secteur des industries de transformation avait imposé à l’État de définir des choix stratégiques s’exprimant dans l’option pour des modes d’accumulation considérés comme les plus aptes à répondre à des objectifs explicites (croissance, couverture de la demande locale, exportations) et implicites (emploi, maîtrise technique, répartition spatiale des activités, complémentarité entre le public et le privé).
3La conduite de ces choix et la volonté de revaloriser le poids du secteur industriel dans le système productif et dans la dynamique sociale ont appelé des interventions plus accentuées de l’État, articulées autour de deux modalités d’actions complémentaires : un renforcement des politiques de régulation du secteur et d’incitation des acteurs, un engagement direct par la constitution d’un patrimoine public propre ou comme partenaire des autres fractions du capital industriel. De ces actions a résulté un tissu industriel relativement diversifié mais surtout fragile et largement exposé aux contraintes externes. Ses performances économiques se trouvent plus sujettes à des perturbations.
4Depuis l’émergence de la crise et l’adoption du programme d’ajustement structurel, une mutation semble se dessiner dans les rapports de l’État à l’industrie. Très nette dans les domaines des choix et de la réglementation, encore imprécise dans celui de la gestion du patrimoine public, la nouvelle pratique industrielle cherche à assigner au marché mondial un rôle fondamental dans l’affectation des ressources, l’impulsion de nouveaux créneaux de spécialisation et dans la régulation du secteur des industries de transformation. Les enjeux des orientations actuelles suscitent des interrogations sur la capacité des mesures de réforme à rendre plus efficiente la structure de l’industrie marocaine et de là à améliorer sa fonction dans la dynamique économique et sociale.
I – LES PHASES, LES MODALITÉS ET LES IMPASSES DE L’INDUSTRIALISATION
5L’évolution des industries de transformation s’est fondée sur des orientations se donnant des objectifs à atteindre à moyen et long terme dans le cadre de voies de développement industriel. Pour atteindre ces objectifs, les pouvoirs publics ont progressivement modifié le système des incitations industrielles et leur politique d’intervention directe de façon à agir sur l’environnement économique et à remodeler la configuration du secteur. L’analyse des indicateurs quantitatifs permet de saisir les acquis réalisés dans le domaine industriel mais l’appréciation des tendances qualitatives révèle des déficiences de structures, sources d’une instabilité dans les performances.
A. – LES PHASES ET LES VOIES DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE :
6L’héritage colonial avait légué un modèle de croissance de type agro-minier où prédominait un secteur primaire de production, une faible diversification du système productif et surtout une hégémonie du marché extérieur sur les transactions commerciales, les flux de revenus et la structure de la demande. En marge de ce modèle et à la faveur de circonstances particulières (autarcie de la guerre, pénurie dans les approvisionnements puis afflux de capitaux dans l’immédiat de l’après-guerre) quelques activités industrielles s’étaient créées, dominées par l’initiative des groupes privés français. Elles sont demeurées cantonnées dans la transformation des produits de pêche, de l’élevage ou du sol.
13La conjoncture favorable des années 1973-1977 a permis de relancer la substitution des importations par la concentration du capital public dans la couverture des besoins en produits alimentaires de base (sucre, dérivés laitiers, corps gras, alimentation du bétail) et en produits stratégiques (ciment). Toutefois, l’élargissement des secteurs de biens intermédiaires et d’équipement devait dépendre de la croissance des activités consommatrices des intrants industriels. De plus, les contraintes des économies d’échelle, de technologie et de financement ont rendu les possibilités de substitution dans ces secteurs difficiles à réaliser.
14Face aux contradictions de la politique d’import-substitution, les pouvoirs publics ont cherché à réorienter le développement du secteur industriel vers l’extérieur. Auparavant, ce choix n’avait trouvé d’application que dans quelques cas particuliers relevant de la valorisation de ressources naturelles agricoles ou halieutiques (pâte à papier, conserves de fruits, légumes et de poissons) ou minières (engrais phosphatés). Des mesures de soutien allaient favoriser une diversification de la gamme des branches exportatrices englobant aussi bien des produits nécessitant des investissements lourds à la charge du secteur public (la chimie des phosphates) que des produits réalisés par des entreprises de petite et moyenne dimension relevant de l’initiative privée (Textiles, cuir, composants électroniques…).
15Cette orientation correspond à la volonté de desserrer la contrainte du marché national, de compenser l’incompressibilité de certaines importations (énergie, biens d’équipement) par les exportations de produits manufacturés, d’améliorer la productivité industrielle par l’ouverture sur la concurrence internationale. Sa signification réelle n’est pas sans lien aux mutations des appareils productifs dans les pays industrialisés donnant lieu à des processus de redéploiement et de sous-traitance dans certaines activités. Sur la base d’une comparaison des salaires à productivité égale, les grandes firmes internationales tendent à délocaliser les parties du cycle de fabrication de produits simples qui exigent relativement plus de travail.
5 A l’exception de la confection et des dérivés des phosphates.
16Dans cette compétition ouverte entre les pays du Tiers-Monde, le Maroc s’efforce de capter certains chaînons de branches qui correspondent à "l’avantage comparatif" que constitue l’abondance de sa main d’oeuvre, avantage revalorisé par la proximité de sa situation géographique par rapport aux grands marchés internationaux. Jusqu’à présent, la promotion des exportations de produits manufacturés n’a pas abouti aux résultats escomptés5. Les réflexes protectionnistes, les politiques de restructuration des secteurs "sensibles" dans les pays industriels, les nouvelles formes de néo-protectionnisme, la concurrence des pays du Tiers-Monde pour accéder au marché mondial sont autant de risques qui font douter de la capacité des industries orientées vers l’extérieur à être un vecteur de développement industriel. Travaillant, dans la plupart des cas, avec une matière première et des produits intermédiaires importés, leur potentiel d’entrainement des autres secteurs économiques est foncièrement réduit.
B. – LE SYSTÈME DES INCITATIONS INDUSTRIELLES ET LE JEU DES ACTEURS ÉCONOMIQUES :
17Le fonctionnement des deux modes d’industrialisation a été soutenu par un ensemble de mesures destiné à créer des conditions favorables à l’intervention des agents économiques. Le système d’incitations a consisté, notamment, dans la protection du marché intérieur, l’encouragement à l’investissement et la promotion des exportations manufacturières.
6 Ce renforcement des restrictions quantitatives s’est opéré à la suite de la dégradation des compte (...)
18Etablie progressivement et modulée selon la conjoncture économique, la politique de protection s’articulait autour de deux objectifs essentiels : soutenir l’industrie naissante par le biais de tarifs et de quotas, atténuer les risques de distorsions par la stimulation de la concurrence intérieure. Ainsi, le tarif unique hérité de l’acte d’Algésiras fut abandonné pour des tarifs plus élevés et différenciés selon les produits et qui furent renforcés par des restrictions quantitatives à l’importation6. Ce système de gestion complexe fut aboli en 1967 et remplacé par une combinaison plus libérale d’une taxation tarifaire et d’un programme d’importation.
7 Les droits de douane et les taxes sont établis à partir de quatre éléments : les droits ad valorem (...)
8 La liste A comprend les biens qui peuvent être importés librement, la liste B est soumise à des au (...)
19La structure tarifaire composée d’un ensemble de droits de douane et de taxes7 a atteint un niveau élevé. C’est ainsi que pour 70 % des sous-chapitres de la nomenclature douanière, le total des droits et taxes dépassait 30 % avec une variation extrêmement large allant de 18 % à 190 %. Cette protection tarifaire a été renforcée par l’effet restrictif du programme général des importations qui a réparti les importations en catégories différenciées selon leur degré de liberté à l’entrée8.
9 Ainsi la valeur des biens importés librement a diminué de 73 % des importations en 1972 à 34 % en (...)
20Si lors de sa mise en place, ce système a été accompagné d’une libéralisation du commerce extérieur, à partir de 1972, l’accent mis sur la substitution des importations a conduit non seulement à accorder une protection tarifaire automatique à toute entreprise nouvelle mais aussi à augmenter le nombre des quotas d’importation afin de réserver le marché intérieur aux industries locales9. Cette barrière protectionniste élevée et établie pour une longue durée a fini par créer des situations de surprotection pour certaines industries anciennes (textiles, cuir, alimentaire) et pour encourager des importations illicites de biens de consommation durables et non durables. Il semble que la politique de l’État ait dépendu de circonstances conjoncturelles ou de considérations budgétaires sans perception de l’impact de la structure tarifaire sur les choix de politique industrielle.
10 La conclusion d’une étude (Rappoort Rowtorn) souligne que dans la majorité des cas le niveau de pr (...)
21Certes, ce système tarifaire a été accompagné des deux effets habituels de la substitution des importations : une modification de la structure des importations caractérisée par la diminution de la part relative des biens de consommation et l’accroissement de celle des biens intermédiaires et de capital, une augmentation de l’offre interne de produits industriels reflétant l’exploitation de ressources latentes par l’atténuation des effets de la concurrence étrangère. Mais, d’un autre côté, la structure des tarifs a provoqué des effets négatifs parmi lesquels : une mauvaise affectation des ressources induisant un gaspillage du facteur capital10 ; une expansion anarchique de petites unités fonctionnant à des taux de productivité faible ; la formation de prix intérieurs élevés avec des écarts importants par rapport aux prix internationaux, ce qui gêne, à la fois, la croissance de la demande interne et des exportations ; une entrave aux effets amonts de la politique industrielle.
22Parallèlement à la protection du marché national, l’encouragement à l’investissement a constitué le deuxième volet du système d’incitation. L’action de soutien a pris deux formes essentielles : la promulgation des codes d’investissement et l’assistance à la création des petites et moyennes industries.
11 Primes d’équipement, bonification des taux d’intérêt, régime de change, garantie de transfert, etc (...)
12 Le premier code date de 1958 mais il n’a pas tardé à être remplacé par un autre plus libéral en 19 (...)
23Les codes regroupent une série de mesures, principalement d’ordre fiscal destinées à agir sur les conditions de financement11 et à réduire les coûts d’intervention dans le secteur industriel tout en rehaussant son rendement par rapport à d’autres activités (transactions foncières, immobilières et commerciales). Depuis l’indépendance, l’État a promulgué quatre codes d’investissement industriel12. Ces réaménagements successifs, toujours dans un sens plus libéral reflètent à la fois les changements intervenus dans la politique industrielle et les limites de ces dispositifs à agir sur l’investissement privé national et étranger.
13 Les investissements agréés n’ont guère dépassé une moyenne annuelle de 224 millions de DH concentr (...)
14 Extension des avantages aux services liés à l’industrie, modulation régionale des aides accordées, (...)
24En douze années d’application (1960-1972), les mesures moins sélectives établies par le second code, accompagnant la réorientation libérale de la politique industrielle, n’ont pas secoué l’atonie de l’investissement ni redressé les déséquilibres de son affectation13. Avec l’accent mis sur l’industrialisation lors du Plan 1973-1977, l’État a renforcé les incitations par un troisième code, étendant la portée et l’automaticité des mesures tout en réservant les avantages aux nationaux afin de renforcer la marocanisation de l’appareil productif. L’introduction de ce nouveau code a été accompagné d’une forte augmentation des investissements mais cela a été dû surtout au vigoureux programme d’intervention de l’État dont la décision d’investir ne dépend pas, en principe, de l’existence d’incitations fiscales ou financières. Dans sa mise en oeuvre, le code de 1973 a soulevé des critiques relatives à la discrimination à l’égard de l’investissement étranger, à l’exclusion du champ des avantages de certaines activités annexes et complémentaires à l’industrie, à l’insuffisance des avantages fiscaux procurés et surtout à la faiblesse de ses effets macro-économiques. Le code de 1983 a introduit une série d’innovations cherchant à corriger les déficiences des codes précédents14.
15 Le coût de tous les codes sectoriels a varié, selon un rapport de la Banque Mondiale sur le systèm (...)
16 Cf. Akesbi (N.). – "L’expérience des codes des investissments industriels au Maroc. L’évaluation d (...)
25L’efficacité des codes est, certes, difficile à établir en raison des carences dans le contrôle et le suivi des projets bénéficiant des avantages, ce qui ne permet pas une évaluation de leurs avantages et de leurs coûts. Toutefois, leurs coûts budgétaires semblent appréciables15 et un de leurs effets a été d’introduire des distorsions en favorisant le choix des investissements intensifs en capital. Au delà de ces appréciations, les effets des codes tendent à s’atténuer avec leur généralisation à tous les secteurs économiques et dans tous les pays du Tiers-Monde. Les quelques enquêtes d’évaluation relativisent l’impact des incitations fiscales dans la décision d’investissement16. La dimension du marché, l’environnement administratif et politique, la structure du tissu industriel, l’infrastructure sont des facteurs plus décisifs pour les investisseurs potentiels, notamment étrangers.
31 Le taux d’utilisation des capacités de production se situe entre 60 % et 70 % avec de larges écart (...)
48Il reste que l’installation de larges capacités de production dans l’espoir d’économies d’échelle dans le futur a été à l’origine de l’inutilisation d’une large part du capital industriel31. Les erreurs de prévision et la baisse de la demande ont amplifié ce phénomène. Au sein des industries de transformation, l’éventail de productivité de la main d’oeuvre est largement ouvert, les activités où les taux sont faibles sont celles où les méthodes de production sont presque artisanales (Textiles, cuir, bois, ameublement), les secteurs qui atteignent les meilleurs niveaux relatifs sont la chimie, le ciment, les papiers, les plastiques et le matériel de transport. La pénurie de la main d’oeuvre qualifiée freine les possibilités d’amélioration de la productivité.
32 Produits alimentaires non compris. Les données sont établies sur la base des prix constants de 198 (...)
49La demande des produits industriels est restée longtemps tributaire du marché intérieur et n’a concerné les exportations que de façon marginale. La période 1970-1980 a vu la proportion des produits manufacturés se relever de 10,7 % à 25,6 % dans le total des exportations32. Ce changement a été le résultat du fort taux d’évolution des exportations industrielles (12,9 % en moyenne annuelle) mais il est dû aussi, en partie, à la régression du taux de croissance des produits agricoles (-0,7 %) et de la faiblesse de celui des produits miniers (4,3 %).
33 Cf. le rapport de la Banque Mondiale sur les politiques et perspectives d’ajustement à moyen terme (...)
50Si l’évolution des produits traditionnels (Textiles et cuir) et des produits nouveaux (acide phosphorique, engrais phosphatés) ont soutenu l’expansion des ventes extérieures, la capacité d’exportation des autres activités industrielles n’a pas eu le même entrain et s’est même émoussée. A l’exception de ces deux groupes de produits, la part des exportations dans la production manufacturière a connu durant les années soixante-dix un déclin pour tous les produits, la baisse a été particulièrement notable dans le cas des produits alimentaires, des boissons, du bois, des articles en papier et des métaux de base33. Parallèlement, la part du Maroc dans les importations des pays développés accusait une forte baisse dans presque toutes les catégories de produits à l’exception des articles Textiles, des vêtements et des chaussures. Bien que légèrement compensée par la progression des ventes dans les pays sous-développés, la performance défavorable du Maroc sur les marchés d’exportation est attribuable au déclin de la compétitivité de son industrie par rapport à ses concurrents (Tunisie, Thaïlande, Philippines, Pérou, etc.).
34 Cf. même référence, p. 27.
51Ce n’est donc qu’à partir de 1981 que la tendance de la part des exportations dans la production manufacturière a commencé à se relever. Elle a augmenté dans pratiquement toutes les branches34. Néanmoins, c’est toujours la demande interne qui reste le débouché essentiel de la production industrielle, en intervenant pour près de 80 % dans la valeur de cette dernière.
35 Viennent ensuite les pays d’Afrique non arabes avec 23 % des exportations, les pays arabes (7 %), (...)
52Si le Maroc fait partie, depuis quelques années, de cette nouvelle vague de pays du Tiers-Monde exportateurs de produits industriels, la structure de ses exportations en ces produits ne correspond pas à celle de la plupart des pays qualifiés de semi-industriels. Les articles exportés sont essentiellement d’origine agricole ou minérale subissant quelques opérations de transformation (chimie parachimie : 46 %, Textiles et cuir : 31 %, agro-alimentaire : 17 %). La destination de ces produits est concentrée vers la CEE (58 %)35.
53Au-delà du comportement des indicateurs de performance et en dépit de la diversité de ses activités, l’industrie marocaine continue de souffrir de graves déséquilibres. Il s’agit de distorsions multiples dans ses structures qui rendent difficile la réalisation des objectifs d’une croissance soutenue et régulière.
36 Cf. Rapport de la Banque Mondiale : Industrial incentives and export promotion. Washington D.C., 1 (...)
54L’inégal développement entre ses différentes activités est le premier aspect de ces distorsions. En effet, les industries de transformaion restent principalement axées sur la production de biens de consommation qui concerne près de 50 % de la production totale, alors que les biens d’équipement comptent pour moins d’un dixième36. Les biens de consommation durable sont dans leur majorité des produits ayant reçu un faible degré de transformation (postes radio, réfrigérateurs, automobiles, cycles). Les biens intermédiaires sont constitués d’activités de transformation de minerais (phosphates en acides phosphorique et en engrais) ou de matériaux de construction (ciment) et plus rarement de fabrication de produits destinés au secteur des biens de consommation. Cette structure a été déterminée par deux facteurs fondamentaux, le profil de la demande solvable et les conditions de l’offre. Le premier a façonné une configuration du tissu industriel où prédomine les biens de consommation, le second a modelé les aspects techniques de l’industrie nationale en la spécialisant dans de simples opérations de transformation et d’assemblage.
37 Cf. Rapport sur les industries de transformation, op. cit., p. 12.
55La fragilité des structures constitue le deuxième aspect de l’industrie marocaine. De constitution relativement jeune puisqu’à peine 17 % des entreprises datant d’avant l’indépendance et près de 60 % depuis 1973, le tissu industriel s’est formé dans la précipitation. Il en a résulté un déséquilibre frappant entre les unités qui le composent. D’un côté, la concentration économique est relativement forte : moins de 20 % d’unités ont réalisé en 1985 près de 91 % du chiffre d’affaires et des exportations, 90 % de la production. D’un autre côté, il y a une prédominance de PME (employant moins de 100 personnes) qui regroupent 87 % du total industriel (soit 3.488 unités)37. Elles jouent un rôle important dans l’alimentaire, le textile, la chaussure, le cuir, les plastiques, la plupart des grandes entreprises sont en général, soit des sociétés publiques ou semi-publiques localisées dans la chimie, le sucre, le raffinage de pétrole, le ciment.
56La troisième distorsion est constituée par le clivage très marqué entre les industries exportatrices et les industries domestiques. Les premières, plus compétitives, travaillent généralement avec des matières premières importées, alors que les secondes survivent grâce à la surprotection dont elles bénéficient.
57Le manque d’intégration de l’industrie nationale est un autre aspect des déséquilibres qui la caractérisent. Il se manifeste dans l’inarticulation de la croissance industrielle à celle des mines et de l’agriculture. Les phosphates représentent le seul secteur où la valorisation des minerais a réellement progressé. La filière des autres substances minérales n’a pas été substantiellement modifiée. L’extraction des minerais et leur exportation à l’état brut, après leur avoir fait subir quelques opérations d’enrichissement, sont le schéma dominant dans l’exploitation des ressources minières. La relation entre l’agriculture et l’industrie est fortement liée à la structure de base du secteur agricole et dissimule des tendances contrastées entre les activités traditionnelles et les activités modernes. Le développement de la grande irrigation a été associé à une progression des techniques de culture et à l’accroissement des inputs industriels dans cette partie de l’agriculture consacrée aux cultures commerciales pour l’exportation ou pour la transformation industrielle. Mais ce développement a été réalisé en grande partie par le recours à des importations de consommations intermédiaires ou d’équipements agricoles plutôt que par un renforcement des capacités du secteur industriel à satisfaire les besoins de l’agriculture. Quant aux activités agricoles traditionnelles, elles sont restées à l’écart des flux d’échanges agro-industriels.
68Par ailleurs, en proposant un modèle de croissance fondé sur le rôle moteur des échanges extérieurs à tous les pays du Tiers-Monde, on réduit les probabilités des effets multiplicateurs d’excédents à l’exportation. Ce modèle n’est lui-même acceptable par les pays développés que s’il leur procure des gains à l’échange. Aussi, la recherche d’une issue à la crise par l’exportation et pour tous les pays risque d’impliquer les partenaires dans le cercle infernal de la compétitivité avec comme résultat une tendance à la baisse des prix relatifs des produits échangés. Les mutations en cours dans les techniques de production ; la réduction des consommations de ressources naturelles dans la fabrication des produits industriels tendent à réduire l’importance relative des coûts directs dans la formation des prix et à affecter la compétitivité des pays du Tiers-Monde. S’orienter pleinement dans la voie des exportations risquerait d’entraîner un renforcement de l’extraversion plutôt qu’une amélioration de la position dans la division internationale du travail.
69Le degré d’ouverture sur l’extérieur aujourd’hui pratiqué par le Maroc et plus généralement par les pays en voie de développement contraste avec le protectionnisme qui a marqué les premières decennies de croissance des pays développés. S’il est évident que les pays en voie de développement ne peuvent pas suivre une politique analogue, l’appel à un démantèlement de leur système de protection pose un problème. Cela risquerait d’exposer leur tissu industriel à un dépérissement. Certes, une réforme de la politique de protection s’impose pour corriger les déviations qu’elle a induites, mais les mesures prises dans le cadre de la refonte de la politique douanière marocaine semblent sous-évaluer les conséquences probables sur l’activité industrielle.
70Ainsi, les tarifs douaniers ont été abaissés à un niveau de 45 %, la taxe spéciale à l’importation a été ramenée jusqu’à présent de 15 % à 5 %, la taxe statistique à l’exportation a été supprimée, les restrictions à l’importation ont été levées et le régime des licences a été assoupli, de sorte qu’il s’applique désormais à environ 15 % des importations et à quelques produits exportés. Le but final est d’arriver à la fin des années 80 à remplacer les dernières restrictions quantitatives par des droits de douane et à arriver à un taux de protection uniforme de 25 %.
44 Cf. Conférence du Ministre de l’Industrie op. cit.
45 De Bandt (J.). – "Des mesures combinées de politique commerciale et de politique industrielle : te (...)
71Dans l’optique de l’Administration, il s’agit là d’une harmonisation et d’un ajustement afin de "supprimer" un système figé et de lui substituer un autre plus moderne et plus transparent…, cette politique devrait se traduire par une réduction du clivage entre les industries expatriées et celles travaillant pour le marché intérieur"44. Cette réadaptation trop brutale risque de causer des préjudices à une activité habituée à fonctionner dans un environnement trop protégé. Dorénavant, il apparait que la complémentarité entre protection et renforcement de l’appareil industriel qui a marqué les décennies précédentes est remise en cause. La gestion du système productif devra se passer des barrières douanières et restrictives. L’enjeu est difficilement maitrisable dans une période ou on assiste à une démultiplication des mesures interventionnistes commerciales et industrielles dans les pays développés, presque au cas par cas. La crise a même entraîné ces pays à réduire les pressions qui se transmettent par les échanges internationaux et tentent de doper les productions domestiques en vue de reconquérir leurs marchés intérieurs45.
46 Lafay (G.). – "Avantage comparatif et compétitivité". Economie prospective internationale(29), 1er(...)
72Leurs politiques industrielles ne cherchent pas tant à respecter des avantages assignés par une certaine loi qu’à anticiper et créer des nouveaux avantages à l’aide des techniques modernes de la concurrence46.
73L’évolution enregistrée dans le démantèlement des restrictions quantitatives à l’importation est très nette. La liste C (produits interdits) du Programme Général à l’Importation a été supprimée et la liste A (produits libres) représente désormais 78 % de l’ensemble des positions et 88 % de la valeur des importations. La gamme des taxes sur les transactions commerciales a été comprimée et la dispersion de la structure tarifaire a été réduite. Néanmoins pour compenser le trou budgétaire laissé par la suppression de la Taxe Spéciale sur les Importations (TSI), les pouvoirs publics ont instauré un Prélèvement Fiscal à l’Importation (PFI). Par ailleurs, l’obligation de licence d’exportation a été supprimée pour la totalité des produits.
74Le Maroc est devenu officiellement partie contractante du GATT en 1987. Dans le cadre de ses engagements avec cette institution, une nouvelle loi sur le commerce extérieur a été adoptée, abrogeant les anciens textes et établissant les règles de jeu en matière de protection de la production nationale et de recours aux procédures de sauvegarde. Le nouveau texte affirme les principes de libéralisation des importations et des exportations sous réserve de certaines limites : sécurité, moralité et surtout préservation de la position financière extérieure du pays. La protection ne peut être accordée que lorsqu’elle justifie d’une rentabilité économique, les instruments d’intervention de la puissance publique ont été codifiés : prix de référence, prélèvement à l’importation, restitution à l’exportation etc.
B. – LA MOBILISATION DES RESSOURCES FINANCIÈRES EN FAVEUR DE L’INDUSTRIE :
75Chercher à faire jouer au secteur industriel un rôle plus actif dans la restructuration de l’économie et dans le redressement des comptes extérieurs nécessite un assainissement préalable de la situation financière des entreprises et un financement adéquat de leurs activités. Dans une conjoncture où le recours aux emprunts extérieurs n’est pas envisageable à moyen terme, il est évident que la mobilisation des ressources intérieures devient une condition de la relance.
76Cette mobilisation repose en partie sur l’appel au système bancaire et au marché des capitaux pour collecter l’épargne privée et assurer son affectation la plus productive. Les relations des banques avec le secteur industriel ont toujours été timides, et souvent peu efficientes. D’où l’importance d’une action en profondeur sur les crénaux de l’intermédiation financière et sur le système de crédit.
47 Les banques marocaines réalisent un taux de bénéfices de 20 % en moyenne des capitaux propres sur (...)
77Si les crédits à moyen et long terme consentis par la BNDE sont à des conditions généralement favorables, la plupart des banques primaires ont une nette préférence pour les transactions commerciales et font prévaloir les règles de sécurité au de là des normes réglementaires requises. Au point de conserver trop de liquidités et de refuser la collecte des dépôts à terme. Les entreprises trouvent que les garanties exigées par les banques sont excessives et systématiques. Le paradoxe de cette situation est que face à un état de survie qui caractérise la position financière des entreprises, les banques affichent des taux de bénéfices substantiels sur un marché où le taux de bancarisation recèle encore d’un important potentiel de développement47.
78Ce sont là des signes de réticence des organismes financiers nationaux à assumer les risques du financement. Le système bancaire évoque les contraintes que la réglementation fait peser sur son fonctionnement et qui l’empêchent de définir une ligne de conduite rationnelle envers le monde de l’entreprise. Parmi ces contraintes figurent : l’administration des taux d’intérêt, la fixité des commissions bancaires, le plafonnement des crédits, les obligations d’affecter une partie des ressources au financement du Trésor. Il y a aussi les restrictions imposées par la spécialisation aux interventions des organismes financiers spécialisés publics. Il y a enfin le faible apport de la bourse des valeurs aux ressources du système productif. Cet environnement rigide et cloisonnée de l’intermédiation financière supprime toute concurrence entre les institutions et handicape le drainage et l’affectation rationnelle des ressources.
48 Cf. rapport de la Banque du Maroc 1986.
79Depuis 1985, des réformes importantes ont été impulsées. Elles sont destinées à rendre le crédit plus efficient et à assurer une plus grande fluidité dans les interventions des banques. La règlementation des taux d’intérêt a été assouplie, celle des commissions a été révisée, les institutions spécialisés et les banques commerciales ont été mises en concurrence en matière de dépôts et de prêts, les plafonds de crédits et les obligations de placement ont été modulés en fonction des comportement des banques etc…48 Cette libéralisation est supposée, d’un côté, obliger les banques à se procurer des ressources longues et, de l’autre côté, les inciter à pratiquer le moyen terme direct.
80La réforme bancaire a été consolidée en libérant les taux de crédit aussi bien débiteurs que créditeurs et en réduisant les prélèvements des autorités monétaires sur les ressources des banques (planchers des effets publics, portefeuille des crédits immobilisés etc.). L’encadrement du crédit, a été levé et des mesures touchant au fonctionnement du système bancaire sont à l’étude dans la perspective d’une nouvelle loi bancaire.
81Le Maroc pense aussi bénéficier de la création des zones franches (autorisée par un nouveau texte de loi) afin de réaliser les principaux objectifs de la politique économique : utilisation optimale des ressources matérielles et humaines, développement et modernisation de l’appareil de production, plus grande ouverture aux investissements étrangers.
49 Cf. rapport sur le secteur financier établi par la Banque Mondiale 1984.
50 C’est le cas du groupe ONA qui a créé une société financière en association avec Paribas.
82Dans le moyen terme, et en vue de restructurer les entreprises industrielles, et de monter de nouveaux projets, l’idée de la création d’une banque d’affaires est en gestation. Ses interventions pourraient être dans plusieurs directions : développer les affaires privées par une politique de partenariat avec les entreprises familiales réticentes à nouer des relations avec des groupes de même nature, aider à la restructuration des entreprises publiques en renforçant leur capital avec un objectif de désengagement à moyen terme, conduire une politique de fusion d’entreprises ou de rapprochement d’unités complémentaires, prêter un concours à l’industrie que ce soit sous forme d’apports de capitaux propres, d’opérations d’emprunts, d’assistance technique ou de conseil dans les relations internationales, etc…49. Déjà quelques groupes privés marocains semblent se lancer dans cette voie50. Mais pour qu’elle ait une dimension financière importante, cette entreprise appelle une association plus large entre partenaires locaux et étrangers. Une des difficultés de la mise sur pied de ce projet réside dans la réticence des partenaires éventuels à s’engager dans une opération dont la rentabilité ne peut être assurée qu’avec un différé d’amortissement important. Encore faut-il parvenir à réunir dans une même entreprise des groupes ayant des stratégies d’intervention différentes et fortement attachés à préserver le contrôle de leurs affaires.
51 Le marché des actions a accusé un net fléchissement en 1986 : le chiffre d’affaires réalisé a été (...)
52 Les sociétés d’investissement, les banques et les sociétés d’assurances détiennent environ les 2/3 (...)
83Une autre action en profondeur est envisagée pour renforcer la structure financière des entreprises. Il s’agit de la référence du marché des capitaux. Celui-ci est très peu développé. Les ressources collectées sur le marché financier atteignent environ 3,5 milliards de DH, la part du secteur privé éant, en général de moitié, le reste étant des émissions d’emprunts d’État ou garantis par l’État. L’activité boursière en stagnation depuis une longue période reste modeste51 et ne constitue pas un moyen de mobilisation des petits épargnants vers les investissements à risque. Sur les 71 sociétés cotées en ourse, 26 relèvent du secteur industriel52. Le nombre des nouvelles introductions en bourse est limité et les augmentations de capital des sociétés cotées ne sont en général, pas offerts sur le marché officiel, les actionnaires existants faisant jouer en plein leurs droits d’attribution et de souscription. Par conséquent le volume des transactions reste limité par l’insuffisance de l’offre des titres. De plus, le rendement moyen des actions n’est pas très compétitif (9 % en moyenne), ce qui rend les titres cotés moins attrayants comparativement aux taux payés sur des instruments qui comportent moins de risques.
84Le développement du marché financier peut élargir et diversifier les ressources disponibles pour les entreprises industrielles, tout en améliorant l’efficacité de l’intermédiation dans l’allocation de ces ressources. Une série de mesures d’encouragements a été prévue à cet effet : Incitation des organismes institutionnels à une intervention plus agressive, encouragement à la création de sociétés spécialisées dans la gestion des portefeuilles, avantages fiscaux etc. Mais l’effet de ces mesures ne peut se faire sentir qu’à moyen terme et il dépendra en fait des mutations dans les structures des entreprises et du rendement relatif procuré par les autres opportunités de placement.
C. – LE DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT :
85Dans la remise en cause du rôle de l’État dans la sphère économique, un aspect et non des moindres consiste dans la restructuration du secteur public industriel. Dans les années 1978-1981, l’approche des pouvoirs publics sur les réformes à effectuer dans ce secteur semblait insister sur les mesures d’assainissement des entreprises concernées et sur la restructuration de leur fonctionnement. Sans renoncer totalement à cette optique, du moins pour les entreprises qui ne trouveraient pas d’acquéreurs, les pouvoirs publics semblent actuellement privilégier le recours à la formule de la privatisation.
86En se débarrassant de son portefeuille, l’État entend se libérer des tâches de production et de gestion industrielle et limiter son intervention dans les activités commerciales. La finalité de ce désengagement est de consolider les assises du capital privé dans le système productif par un nouveau partage des parts et des rôles entre le secteur public et le secteur privé. Cette politique est perçue comme le moyen d’augmenter la compétitivité tout en inversant les flux financiers entre l’État et les entreprises par une meilleure mobilisation des ressources fiscales et une diminution des transferts budgétaires.
87Bien que la privatisation ait déjà commencé par la cession au privé de quelques unités industrielles, il n’a pas encore été défini, jusqu’à présent, une réelle politique de cession des participations de l’État. La structure du portefeuille de l’État reste encore mal connue. Cela est dû aux conditions de formation du secteur public, à son extension par un processus de filialisation aux ramifications complexes. Cette situation entrave l’établissement d’une évaluation des conditions et de l’impact de la privatisation.
88Une fois l’inventaire des entreprises publiques qui devraient être cédées réalisé, l’application du programme de privatisation dépendra des ressources financières disponibles auprès des parties susceptibles de répondre à l’appel de l’État (le capital étranger, les investissements institutionnels, l’épargne privée, les entreprises locales).
53 656 M de DH en 1985 au lieu de 838 M en 1982.
89Les fonds privés étrangers seront sollicités, mais par le passé, le Maroc n’a jamais réussi à draîner un flux sensible d’investissements privés directs. Cet apport extérieur est même en décroissance dans les dernières années53. Des facteurs conjoncturels expliquent en partie cette diminution : récession de l’économie mondiale, ralentissement de l’activité nationale, restructuration de la dette extérieure. A ces contraintes qui contribuent à dissuader une partie des investisseurs potentiels vient s’ajouter le risque de change et la crainte d’une faible rentabilité dégagée par des projets restructurés. A court terme, les conditions favorables à un influx de capitaux étrangers pour supporter la politique de la privatisation ne semblent pas réunies. Toutefois, les sociétés d’investissements arabes déjà implantées au Maroc pourraient intervenir mais dans une dimension relativement limitée, leur préférence se porte, en général, vers l’immobilier et l’hôtellerie.
90Les investisseurs institutionnels marocains (assurances, banques) ne semblent pas non plus en mesure de mobiliser des ressources importantes dans cette opération. Le secteur des assurances n’est pas dans une situation florissante, son portefeuille est rigide et ses réserves techniques sont, en partie, drainées par le Trésor public. Quant aux banques, elles se sont dotées de sociétés d’investissement en participations et en valeurs mobilières, mais la rotation de leur portefeuille est plutôt faible et elles agissent comme des instruments financiers des principaux actionnaires des banques plutôt que comme des vecteurs d’animation du marché boursier.
54 Elle prend différentes formes : valeurs non financières, thesaurisation, ressources générées par l (...)
55 L’emprunt public d’octobre 1985 a été couvert à plus de 300 % démontrant l’importance des liquidit (...)
91L’épargne financière des personnes physiques se limite aux dépôts bancaires qui constituent souvent une épargne d’attente pour des placements plus rémunérateurs dans l’immobilier. Il existe une importante épargne potentielle réfractaire aux circuits financiers54, toutefois, elle ne peut être aisément mobilisée même s’il y a des indices d’existence d’une demande de placements des investisseurs individuels en de nouveaux instruments financiers étant donné la réticence des banques à collecter l’épargne55. En fait, les petits épargnants sont peu familiarisés avec les instruments financiers disponibles et le placement en bourse n’est pas encore une pratique des investisseurs individuels.
56 Problèmes de Trésorerie, lourdeur des charges financières, carence des fonds propres etc…
57 Si ce risque est réel, le cours que prendra l’opération dépendra des structures mises en place pou (...)
92Les données disponibles ne permettent pas d’évaluer le montant de l’épargne des entreprises privées et la part probable à affecter à la privatisation. Les potentialités de mobilisation de fonds sont réelles mais elles sont concentrées. En effet, l’état de la situation financière des PMI56 ne leur permet pas de disposer de ressources importantes mobilisables rapidement pour le contrôle des sociétés cédées par l’État, ces ressources peuvent même être assimilées à une épargne individuelle. Par contre, certains grands groupes privés semblent disposer de réserves importantes sous diverses formes financières ou non financières qui permettent une mobilisation rapide, avec l’appui des banques, de ressources nécessaires pour la prise de contrôle des entreprises publiques dont la cession est envisagée. Ainsi la privatisation risque de renforcer la concentration du pouvoir économique privé au Maroc57.
58 Cf. infra, p. 316 sq..
93Le dossier de la privatisation en est actuellement au stade de l’exécution : les grands principes de cette opération ont été définis et la loi autorisant les transferts a été adoptée58. Le cadre juridique de la mise en application est en cours de réalisation avec la constitution de deux organes : la commission de tranfert et le comité d’évaluation.
94Une enquête du Ministère des finances a dénombré quelques 688 établissements et entreprises dont le capital est détenu en tout ou en partie, directement ou indirectement par l’État. La majorité de ces établissements (88 %) ont un caractère sociétaire. 61 unités ont un capital détenu à 100 % par le Trésor directement ou indirectement, 224 entreprises sont constituées par des filiales ou participations. 50 entreprises sont considérées comme importantes eu égard à leur chiffre d’affaires et aux effectifs. Du point de vue sectoriel, 70 % de ces unités appartiennent au secteur agricole, aux Industries extractives, à l’énergie, aux industries alimentaires, aux transports et autres services. La loi ne dresse pas une liste exhaustive des sociétés à privatiser, mais elle précise les six grandes entreprises publiques qui ne le seront pas. L’État entend garder le contrôle de quelques établissements jouant un rôle économique "stratégique". Ces exceptions ne concernent pas les filiales ou les prises de participation de ces entreprises. Les privatisables déclarées appartiennent directement au trésor. Cela signifie que l’essentiel – soit environ 85 % de la valeur estimée du portefeuille – concerne des participations indirectes de l’État dont la majeure partie est détenue par des groupes financiers publics (ODI, SNI, CDG, BNDE). Les transferts s’effectueront soit en suivant les procédures du marché financier, soit sur appel d’offre, soit en combinant les deux modalités. Le gouvernement fixera les régies d’évaluation du patrimoine et de détermination des prix d’offre. Les autorités pourront être amenées, pour retenir certains acquéreurs éventuels, à prendre en considération "l’accès de nouvelles catégories sociales à la propriété". C’est par décret que sera fixé e montant maximum des titres et des parts que pourront acquérir des personnes physiques ou morales étrangères. Des mesures d’accompagnement de l’opération sont en cours d’étude (réforme de la bourse, révision du code général de normalisation comptable etc.).
95Par ailleurs il n’est pas exclu que l’opération soit menée cas par cas et qu’elle soit accompagnée de mesures destinées aux entreprises qui, pour différentes raisons, ne seraient pas intégrées dans le champ de la privatisation.
59 L’introduction d’une comptabilité analytique contribuera à clarifier les relations entre l’État et (...)
96Ainsi, un comité interministériel a été constitué pour déterminer les politiques d’investissements futurs pour les entreprises publiques. Son rôle est de définir avec précision les responsabilités de ces unités et des ministères et de proposer des mesures susceptibles de renforcer les mécanismes de planification des investissements et de choix des projets. Par ailleurs, il est envisagé de réduire ou d’éliminer les dotations d’équipement aux entreprises publiques et les remplacer par des crédits directs accordés par les institutions financières ou par des émissions d’obligations. Ce mode de financement réduirait les transferts du Trésor et contribuera à mieux définir les coûts. Les subventions d’exploitation devraient aussi être éliminées progressivement, mais pour arriver à ce résultat une refonte de la politique des prix de ces entreprises devrait être réalisée59.
97Toutefois, le volet le plus important de cette restructuration des relations entre l’État et les entreprises publiques serait l’institution de la pratique des contrats-programmes qui définirait les activités de l’entreprise, spécifierait les obligations et les responsabilités des deux parties et indiquerait les termes des compensations financières éventuelles accordées par l’État. L’application de cette formule a concerné des entreprises commerciales ou de services, elle n’a pas encore été étendue aux unités industrielles.
98La croissance industrielle du Maroc s’est réalisée plus en extension horizontale qu’en intégration verticale. Souffrant de nombreuses insuffisances, l’industrie manque de compétitivité. En se refermant sur elle-même sans réussir les conditions d’un plus grand autocentrage de sa croissance, elle n’a pas pu lever les contraintes associées à l’étroitesse du marché domestique et aux chocs extérieurs. Le processus d’ajustement structurel en cours cherche à rendre possible la relance de l’accumulation. Il met l’accent sur la prédominance du marché international sur le marché intérieur, du secteur privé sur le secteur public. S’il n’est évidemment pas question de nier l’importance qu’il y a à développer les capacités d’exportation dans ce secteur, les perspectives qu’offrent ces nouveaux choix sont pour le moins incertaines à assurer une industrialisation en profondeur.
NOTES
1 Le changement de gouvernement A. Ibrahim et la répercussion des problèmes du financement du premier plan quinquennal sur l’état des finances publiques.
2 Après l’agriculture et le tourisme.
3 Office de développement industriel, société nationale des investissements, caisse de dépôt et de gestion.
4 La promotion des exportations industrielles n’est devenue effective qu’à partir de la fin des années soixante-dix.
5 A l’exception de la confection et des dérivés des phosphates.
6 Ce renforcement des restrictions quantitatives s’est opéré à la suite de la dégradation des comptes extérieurs en 1965.
7 Les droits de douane et les taxes sont établis à partir de quatre éléments : les droits ad valorem, la taxe spéciale à l’importation, le timbre douanier et la taxe sur les produits et les services.
8 La liste A comprend les biens qui peuvent être importés librement, la liste B est soumise à des autorisations, la liste C regroupe les produits interdits à l’importation sauf dérogation spéciale.
9 Ainsi la valeur des biens importés librement a diminué de 73 % des importations en 1972 à 34 % en 1979.
13 Les investissements agréés n’ont guère dépassé une moyenne annuelle de 224 millions de DH concentrés dans les secteurs agro-alimentaires et des textiles (60 %) localisés à raison de 40 % dans la région de Casa-Mohammedia.
14 Extension des avantages aux services liés à l’industrie, modulation régionale des aides accordées, prise en charge par l’État de certaines charges d’installation, suppression de la condition de la marocanité.
15 Le coût de tous les codes sectoriels a varié, selon un rapport de la Banque Mondiale sur le système des incitations industrielles entre 4 % et 8 % des recettes de l’État (hors OCP) selon les années dans la période 1976-1980.
16 Cf. Akesbi (N.). – "L’expérience des codes des investissments industriels au Maroc. L’évaluation des investisseurs". Bulletin économique et social du Maroc (151-152), 1983 : p. 51.
17 Parallèlement à l’action de l’ODI, la BNDE a créé une société d’assistance et de promotion pour les PMI.
18 Une procédure simplifiée accélérée (PSA) consistant en un crédit à moyen terme réescomptable a été instituée en 1972 et un programme de crédits a été établi en 1979 avec l’aide de la Banque Mondiale.
19 Cf. Ibnabdeljalil. (N.). – "La création d’entreprise et son financement au Maroc", in Les relations Banques-Entreprises au Maroc. Editions Toubkal, 1986, p. 225.
20 Le principe de ces régimes consiste dans une franchise de droits de douane sur les matières premières importées et destinées à être utilisées dans la fabrication de produits exportés.
21 La première phase (1958-62) exprimait une volonté d’impulser une industrie de base, la seconde, (1963-72), correspond à un recul de l’industrie dans les priorités, la troisième, (1973-77), est marquée par un retour de l’État à une intervention plus marquée, la quatrième, (1976-1985). est celle de la crise et du désengagement.
22 Données tirées du rapport du Ministère de l’Industrie sur la situation des industries de transformation (1981-1985). Avril 1987, p. 11.
23 Ces groupes sont connus par les noms de leurs principaux actionnaires ou de leur holding : MM. A. Kettani, K. Lamrani. B.S. Guessous, ONA, etc…
24 Cf. Rapport sur les industries de transformation, op.cit., p. 11.
25 24bis Entre 1984-90, l’industrie manufacturière a connu une croissance annuelle de 4,5 %, soit un rythme presque identique au PIB (4,3 %), inférieur à l’agriculture (8,7 %) mais supérieur aux autres activités.
26 Même si cela ne se traduit pas dans les moyennes annuelles des investissements agréés par la commission des investissements. Le taux de réalisation de ces investissements a baissé et leur niveau réel s’est réduit par l’impact de l’inflation.
27 Ce changement s’explique par le fait que les investissements dans les industries de transformation ont connu une croissance rapide de 22,9 % par an de 1972 à 1977 suivie d’une baisse de 10 % par an au cours du programme de stabilisation (1977-1981).
28 Dont 11 milliards pour le programme d’enrichissement et de valorisation des phosphates.
29 Les investissements hors programme OCP se sont établis comme suit : 2,4 milliards de DH en 1981, 2,27 en 1982, 1,85 en 1984 et 1,76 en 1986.
30 Cf. Rapport sur les industries de transformation, op. cit, p. 7.
31 Le taux d’utilisation des capacités de production se situe entre 60 % et 70 % avec de larges écarts d’une branche à une autre.
32 Produits alimentaires non compris. Les données sont établies sur la base des prix constants de 1980.
33 Cf. le rapport de la Banque Mondiale sur les politiques et perspectives d’ajustement à moyen terme. Le 5/8/1985, p. 26.
34 Cf. même référence, p. 27.
35 Viennent ensuite les pays d’Afrique non arabes avec 23 % des exportations, les pays arabes (7 %), les pays de l’Est (6 %), le reste du monde (10 %).
36 Cf. Rapport de la Banque Mondiale : Industrial incentives and export promotion. Washington D.C., 1982, p. 13.
37 Cf. Rapport sur les industries de transformation, op. cit., p. 12.
38 Les secteurs qui ont la plus forte intensité d’importation – mesurée par le montant des importations nécessaires pour un dirham de production – sont les machines, le matériel de transport, les produits électriques, la métallurgie et le raffinage de pétrole.
39 Cf. Memorandum Economique : Pour un programme d’ajustement structurel à moyen terme. Le 30/1/1987. Banque mondiale, Report n 0 6608 – MOR, p. 5.
40 Les réformes s’étendent à tous les secteurs économiques, financiers et sociaux. L’accent a été mis sur l’industrie et le commerce parce que la conduite des réformes est plus simple dans ces secteurs et surtout les effets attendus sont supposés être plus rapides à se concrétiser.
41 Cf. Conférence donnée par le Ministre du Commerce et de l’Industrie sur "Les nouvelles orientations du commerce extérieur et le développement industriel". Casablanca, le 9 Mai 1986. Le Matin du Sahara/Economie du 15 mai 1986.
42 Granier (R.), Djondang (P.). – "Aspects quantitatifs de la croissance". Economie et Société, Série P(26), Tome XII (8-9), août-sept. 78.
43 De Bandt (J.). – "La dynamique des échanges de produits industriels. Interdépendance, maîtrise ou dépendance". Economie et Société, Série P(6), Juin 1984 p. 102.
44 Cf. Conférence du Ministre de l’Industrie op. cit.
45 De Bandt (J.). – "Des mesures combinées de politique commerciale et de politique industrielle : tendance ou non du protectionnisme". Economie et Société, Série REI (4), 1987 : p. 44.
46 Lafay (G.). – "Avantage comparatif et compétitivité". Economie prospective internationale(29), 1er trimestre 1987.
47 Les banques marocaines réalisent un taux de bénéfices de 20 % en moyenne des capitaux propres sur un marché où le taux de bancarisation ne dépasse pas 35 %.
48 Cf. rapport de la Banque du Maroc 1986.
49 Cf. rapport sur le secteur financier établi par la Banque Mondiale 1984.
50 C’est le cas du groupe ONA qui a créé une société financière en association avec Paribas.
51 Le marché des actions a accusé un net fléchissement en 1986 : le chiffre d’affaires réalisé a été limité à moins de 84 M de DH contre 223,6 M de DH en 1985.
52 Les sociétés d’investissement, les banques et les sociétés d’assurances détiennent environ les 2/3 des actions cotées.
53 656 M de DH en 1985 au lieu de 838 M en 1982.
54 Elle prend différentes formes : valeurs non financières, thesaurisation, ressources générées par les activités souterraines.
55 L’emprunt public d’octobre 1985 a été couvert à plus de 300 % démontrant l’importance des liquidités disponibles dans le public.
56 Problèmes de Trésorerie, lourdeur des charges financières, carence des fonds propres etc…
57 Si ce risque est réel, le cours que prendra l’opération dépendra des structures mises en place pour conduire cette politique et des modalités de cession retenues.
58 Cf. infra, p. 316 sq..
59 L’introduction d’une comptabilité analytique contribuera à clarifier les relations entre l’État et les entreprises publiques sur les questions de coûts et de prix.
NOTES DE FIN
- Professeur d’Economie à la Faculté de Rabat.
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Titre Tableau 1 – Taux de croissance du PIB par secteurs (annuels) 1973-1986 (Prix constants 1969)
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Titre Tableau 2 : Evolution sectorielle des investissements agréés par la commission des investissements (1973-85) – Millions de DH
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